Interview : Sylvain Willenz

Sur la planète design, une année sans Salone del Mobile n’est forcément pas une année comme les autres. 12 grands designers d’ici et d’ailleurs nous ont parlé de cette édition 2020 qui n’aura jamais lieu. Surtout, ils et elles nous ont raconté leurs occupations, créatives ou pas, lors de ces mois suspendus et partagé leurs désirs et réflexions pour un “monde (du design) après corona”. Preview: Sylvain Willenz. Dévoucvrez les autres 11 interviews dans Gael Maison été 2020. En vente jusque 10 août 2020 !

Designer industriel, Sylvain Willenz a développé son style graphique et fonctionnel auprès de grands labels internationaux et belges (Hay, Established & Sons, Hem, Durlet…). Ces derniers temps, il a aussi approfondi son approche de la céramique et aiguisé son sens de l’humour…

Sylvain Willenz

Votre Milan 2020 s’annonçait riche.

Oui, j’avais quatre projets en lancement. Heureusement, tout est simplement déplacé et la production se met lentement en place. Mais je me réjouissais, par exemple, de dévoiler ma chaise ‘Upon’ qui a l’air toute simple mais dont la subtilité technique (voir ci-dessous) est typiquement le genre de détail qui me fait rêver. Ce qui fait que c’est un peu mon petit bébé du moment. Puis, il y avait ‘Cepe’, une collection de poufs pour Arrmet, conçus tels de petits îlots où l’on peut, par exemple au bureau, venir s’asseoir seul ou à plusieurs pour discuter… Mais bon, on espère quand même que l’on va vite revenir à un minimum de normalité et que l’on ne va pas passer toute notre vie à travailler à la maison sans plus jamais nous approcher de personne ! Pareil, si je pense au génial système de canapés modulaires élaborés avec le label polonais Comforty. On les a baptisés ‘House Party’ et j’espère aussi que l’on pourra un jour à nouveau organiser des fêtes à la maison ! Puis, il y a ‘Totem’, un tabouret de bar pour Sancal et, j’ai envie de dire, un objet “très Sylvain Willenz” car c’est une petite sculpture très graphique, expressive et fonctionnelle. Mais bon, là aussi, ce serait bien de rouvrir les bars pour les utiliser ! J’en ris parce qu’on peut rire de tout. Mais la situation actuelle est quand même un peu déprimante.

Comment avez-vous abordé cette période ?

En ce qui nous concerne, ma famille et moi nous sommes mis en quarantaine bien avant la décision officielle. Je lisais pas mal la presse et comme j’étais passé par la France et l’Italie, il nous a semblé plus sage de nous isoler. Quelque part, je pourrais dire que cela ne change rien pour moi car je vivais déjà dans ma bulle. Vous avez vu ces images circuler sur le Net ? Un artiste avant le confinement / Un artiste pendant le confinement… et c’est en fait la même image ! Mais je dois dire que, même si je faisais déjà des video calls, tout se révèle plus compliqué qu’à l’habitude. J’ai souvent l’impression de faire trois fois plus qu’avant. Mon assistant est au studio pendant que je suis à la maison. On communique sans cesse. J’ai un bureau en mezzanine au-dessus du salon, mais je ne peux l’utiliser que lorsque les enfants sont calmes. Alors je me suis installé un autre au garage… et je vais de temps en temps travailler sur la terrasse, parce que le garage est glacial. Ce n’est pas des vacances, mais cela fait du bien d’être chez soi. C’est vrai que pendant l’année on se demande souvent à quoi bon avoir une maison pour ne jamais y être.

Et vous faites de la céramique !

Oui, ma femme et moi avions passé une semaine l’été passé à suivre un workshop de “poterie primitive”. Une chouette expérience en pleine nature, où nous avions fait un four nous-mêmes. En rentrant, j’ai continué et installé un atelier au garage. Cela me démangeait et j’ai expérimenté des textures avec des coquillages, textures qui rappellent mon textile ‘Razzle Dazzle’ pour Febrik/Kvadrat : une signature très graphique. Cela a donné ces ‘Masks’ et ‘Fragments’. La céramique, c’est plein de contraintes, mais j’y ai trouvé quelque chose de libérateur. Ces masques, que j’ai essayé de faire souriants, pour être dans quelque chose de positif, sont aussi un condensé de mes références, car j’ai toujours adoré dessiner des personnages. Cela fait un petit temps que je les partage sur Instagram, ce qui a mené des gens du Vitra Museum à Weil am Rhein de m’approcher pour en intégrer à leur nouveau showroom. Cela génère tout de suite une autre pression, mais cela fait plaisir. Enfin, la céramique permet aussi de vivre de très bons moments en famille, où les enfants s’amusent à modeler la terre et nous aussi. Bon, bien sûr, à moment donné, il y en a partout !

Sylvain Willenz

1 ‘Razzle Mask’ : depuis quelques mois, le designer s’en donne à cœur joie avec la céramique, créé directement chez lui, à la maison… Ils ont déjà intégré la Vitra Haus de Weil am Rhein.  2 Tabouret de bar ‘Totem’ pour le fabricant espagnol Sancal : un objet à la forme très graphique, mais où tout est fonctionnel (voir ce cercle où l’on peut poser les pieds). 3 Poufs ‘Cepe’ pour Arrmet : une série de poufs îlots en couleurs naturelles. 4 Chaise ‘Upon’ pour Zilio Aldo AC : une chaise simple et délicate dont le dossier est enfourché sur l’assise… ce qui permet d’avoir un dossier très fin et donc d’empiler un grand nombre de chaises les unes sur les autres. Une subtilité dont le designer est très fier. 5 ‘House Party’ pour le label polonais Comforty : un système modulaire permettant de créer de vraies chaînes d’assises (avec ou sans dossier) aux formes libres.

sylvainwillenz.com

Texte Jean-Michel Leclercq Portrait Nicolas Delaroche