Rêves téléportés
Chronique urbaine par Jean-Michel Leclercq

Mercredi 28 octobre 2020. 13 h. Noter la date et l’heure, comme dans un film disséquant un fil d’événements dramatiques. C’est étrange cette sensation de vivre dans un monde où notre vision des choses peut changer d’une semaine, d’une journée, d’un instant à l’autre. A celui où j’écris ceci, se dessine une hibernation massive. Sauf évidemment pour celles et ceux dont l’activité, au dehors, sera essentielle.
Nous serions donc repartis pour des semaines (des mois ?) à observer le monde sur nos écrans et à travers nos fenêtres. Je repense à mon réveil ce matin à l’aube. Le halo orange qui soudain s’empare des maisons voisines. Le spectacle éphémère d’un ciel aux volutes roses et bleues. Cet hiver, me suis-je dit, nous n’aurons pas de chant nuptial des oiseaux à écouter ou de printemps à voir fleurir. Il faudra trouver autre chose. Au chaud (espérons), lorsque nous saurons fermer les écrans, cette saison sera peut-être celle de la rêverie.
Puis-je toutefois vous inviter à une expo ? La seule exposition, peut-être, visible en ce moment à Bruxelles… car en plein air. ‘Bons Baisers de Forest’ ce sont 20 posters essaimés dans l’espace public (mais également consultables en ligne). 20 portraits, 20 histoires, 20 rêves de voyages.
Cet été, l’artiste Marilyne Grimmer a rencontré une vingtaine de personnes âgées, encore relativement confinées, pour leur proposer de se “téléporter” vers une destination de rêve. Ce sont ces téléportations, aussi émues que déjantées, qu’elle partage avec nous. En duo avec Rozenn Quéré du Brass (le Centre culturel de Forest, qui produit l’expo), Marilyne a longuement écouté leurs rêves… et leur vie ! Tous et toutes se sont ensuite joyeusement prêtés au jeu du shooting photo, se parant du maillot, du chapeau, de la robe à fleurs ou du transat approprié à la destination choisie.
Ce projet de cartes postales téléportées, Marilyne Grimmer l’avait déjà réalisé plusieurs fois, dans les rues de Bruxelles, de Paris, mais aussi de Tokyo, du Vietnam ou du Bénin. Avec le confinement, l’idée de rêve de voyage a pris un tout autre sens. Et après avoir invité ses proches à se prêter au jeu (en se photographiant chez eux), c’est à une population plus isolée qu’elle a proposé le voyage.
Le résultat est touchant. Par la drôlerie des images et la beauté des histoires narrées. Découvrez Marcel, ancien peintre officiel de timbres-poste belges se prélassant aux Maldives ; Suzanne, la biochimiste nonagénaire admirant Samarcande ; Marcella devant la maison de son idole Aung San Suu Kyi ; Christian, l’ex-star yéyé renouant avec Bora Bora ; Louis et Elisabeth retrouvant l’eau noire d’un lac congolais ou encore Jeanine dansant au carnaval de Rio et Bob voyant enfin les pyramides…
Ces rencontres ont un côté La vie mode d’emploi de Georges Perec : on y lit et devine des vies longues, riches d’expériences et de rêves. On y voit aussi de la force, malgré une solitude souvent réelle. De quoi se dire : oui, osons rêver dans les temps qui viennent. Mais, que ce soit en ville ou dans les villages, tentons de rester reliés. Pour, pourquoi pas, rêver ensemble.
‘Bons Baisers de Forest’, jusqu’au 30/11 dans les rues de Forest et sur lebrass.be – marilynegrimmer.net
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